Préparer et stocker les denrées alimentaire au sein d’un château : Le château de Clermont (74)
Relativement peu abordée par les anciennes recherches archéologiques, la zone des communs, ou dépendances, est pourtant au cœur des résidences élitaires puisque sans elles la vie au sein du château serait impossible. Depuis plusieurs années maintenant, les chercheurs abordent de plus en plus l’aspect résidentiel de ces forteresses permettant une approche plus « humaine » de l’occupation de ces édifices[1].
Engagées depuis 2017, les recherches archéologiques menées par le Département de la Haute-Savoie sur le site castral de Clermont (Clermont, 74270) visent à comprendre à la fois la construction du site, mais aussi son occupation au sens large.
Quelques jalons historiques :
Localisé à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest d’Annecy et à moins de 10 km du Rhône et de Seyssel, le château de Clermont est construit sur un promontoire rocheux dominant l’Albanais depuis ses 690 m d’altitude [Fig. 1].
Cette position de contrôle est renforcée par son emplacement au croisement d’axes routiers historiques desservant Chambéry, Genève et Annecy[2]. Le site castral est mentionné dans la littérature pour la première fois dans le courant du XIIIe siècle. Il apparaît alors comme possession des comtes de Genève et leur sert régulièrement de résidence estivale[3]. Toutefois, une demeure seigneuriale semble précéder l’installation de ce château du fait de l’existence de seigneurs de Clermont, ce dès le XIIe siècle. Le site castral des comtes de Genève garde un statut important jusqu’au début du XVe siècle, où l’ensemble du comté est racheté par la maison de Savoie. Le château perd alors en importance du fait de sa position, au cœur des terres savoyardes, mais continue d’être régulièrement entretenu[4]. Il est partiellement transformé en prison aux environs du XVIe siècle. À la fin du siècle, Gallois de Regard, originaire de Clermont, fait construire, en accord avec le duc de Savoie, une demeure fortifiée d’inspiration Renaissance italienne à l’emplacement de la résidence familiale sur le plain château. Les deux bâtiments cohabitent pendant un demi-siècle environ. Au début du XVIIe siècle, la Savoie entre en conflit avec la France si bien qu’en 1630 les troupes de Louis XIII assiègent l’agglomération. Les habitants, refusant le siège, ouvrent les portes aux troupes françaises. La forteresse médiévale, alors encore en état de se défendre, est détruite par Louis XIII et son armée[5]. La demeure Renaissance, bien que partiellement ruinée, est rachetée dans les années soixante avec le plateau médiéval par le département de la Haute-Savoie.
Un complexe culinaire particulièrement riche : description synthétique
Les investigations menées entre 2018 et 2019 sur le secteur résidentiel du château de Clermont ont permis la mise au jour d’un grand complexe culinaire, daté entre les XIIe et XVe siècles, regroupant plusieurs espaces dont la fonction a pu être bien définie. L’ensemble se présente sous la forme d’un bâtiment de plan barlong, orienté est-ouest, venant se loger contre la courtine sud du fossé central[6] [Fig. 2].
La moitié occidentale de cet édifice comprend une grande cuisine disposée en « L » mesurant entre 6.8 et 10.06 m de long pour une largeur comprise entre 2.05 et 5.07 m. Sur la maçonnerie sud, est disposée une cheminée monumentale dont il ne reste qu’un vestige de piédroit [Fig. 3]. Cette structure comprend un système de chauffe et d’entretien complexe composé d’un foyer central, pour la cuisson, d’un foyer annexe, disposé légèrement en retrait et probablement en lien avec un autre type de cuisson, et d’une double canalisation d’assainissement permettant de nettoyer et maintenir au sec les foyers. Ces canalisations, curvilignes, aboutissent à l’ouest à l’emplacement d’une probable cuve dont seul l’ancrage subsiste.
Dans l’angle sud-ouest de cette cuisine se trouve un cellier matérialisé par deux murs maçonnés, chaînés et venant prendre appui sur l’édifice de la cuisine. Ils ferment un espace au sol mesurant 2.51 x 3.07 m. Aucun accès à cet espace n’a été découvert, mais les vestiges étant très arasés, la porte n’a probablement pas été conservée. La présence d’un couteau, d’une fiche à bélière ainsi que la disposition de la pièce à proximité immédiate de la cuisine ne laissent que peu de doute quant à son interprétation en tant que cellier.
Directement à l’est de ces pièces, nous accédons par une volée de quatre marches à une plateforme taillée dans le substrat rocheux. Sur cette dernière ont été retrouvés deux encoches ainsi qu’un trou de poteau central. Cet ensemble, de dimensions restreintes (3.01 x 1.97 m), pourrait correspondre à l’emplacement d’un petit pressoir domestique, probablement en lien avec la préparation d’huile[7] [Fig. 4]. La consommation de noix étant attestée par la comptabilité médiévale et la découverte de plusieurs cernoirs, nous pourrions envisager la préparation d’huile noix ou de lin, de nombreuses graines ayant été retrouvées dans un dépotoir proche[8].
Au nord de cette structure se trouve un petit couloir mesurant 1.54 x 1.93 m et menant à un escalier taillé dans le substrat rocheux composé de 6 marches. Cette structure mène à un grand chai de 9.6 m de long pour 4.8 m de large [Fig. 5]. Presque entièrement taillée dans la roche, cette pièce conserve une élévation pouvant atteindre 2.4 m de hauteur. Les parois étaient entièrement recouvertes d’un enduit de chaux assurant l’isolation de l’espace. Le long du mur sud se trouve une banquette, également taillée dans la roche large d’environ 2.48 m et haute de 0.40 m. Celle-ci servait de support pour les tonneaux. Plusieurs négatifs de piquets, localisés au sol et dans les parois dans l’angle sud-ouest du chai, complètent cet ensemble et pourraient être associés à la présence d’une étagère en bois[9].
Ce grand complexe culinaire, très bien conservé, permet de se représenter les lieux de préparation et de conservation des denrées au sein d’une résidence élitaire. Les différentes études spécialisées en cours (archéozoologie, carpologie…) ont d’ores et déjà permis d’attester d’une grande variété d’aliments consommés au sein du château. Toutefois, il encore trop tôt pour décrire avec certitude la composition de la table au sein du château de Clermont. Les futures opérations permettront sans doute de compléter ces données.
Bibliographie :
BECK et alii 1990 BECK, P., CANAT, C., LAUVERGEON, B. et alii. Le Clos de Chenôve ; La cuverie et les pressoirs des ducs de Bourgogne. Histoire, archéologie, ethnologie (XIIIe-XXe siècles). Editions du Patrimoine. Edit. Faton, Dijon, 1999
BENOIT, TOURNIER R-2017 BENOIT Loïc, TOURNIER Clément, avec la participation de CECI Liliana, VEISSIERE Olivier, Château médiéval de Clermont, RFO de sondages archéologiques, UAPB, 2017.
BENOIT, TOURNIER R-2018 BENOIT Loïc, TOURNIER Clément, avec la participation de CECI Liliana, GUFFOND Christophe, LEFEBVRE de RIEUX Amélie et VEISSIERE Olivier, Château médiéval de Clermont : tour maîtresse et espace résidentiel, RFO de fouilles archéologiques, UAPB, 2018.
BENOIT, TOURNIER R-2019 BENOIT Loïc, TOURNIER Clément, avec la participation de CECI Liliana, COUTTERAND Sylvain, GUFFOND Christophe et VEISSIERE Olivier, Château médiéval de Clermont : les environs de la tour maîtresse et les communs, RFO de fouilles archéologiques, UAPB, 2019.
BOURGEOIS et alii 2014 BOURGEOIS Luc, REMY Christian (dirs.), Demeurer, Défendre et Paraître : orientations récentes de l’archéologie des fortifications et des résidences aristocratiques médiévales entre Loire et Pyrénées, Actes du colloque de Chauvigny en 2012, Chauvigny-Patrimoine, 2014
COCULA, COMBET 2014 COCULAT Anne-Marie et COMBET Michel (dirs), Châteaux, cuisines et dépendances, Scripta mediaevalia 26, Ausonius, 2014.
CORBIERE 2011 CORBIERE (de la) Matthieu, « Une prestigieuse résidence des comtes de Genève : le château de Clermont » dans Revue Savoisienne, 2011.
D’AGOSTINO, CHAUVIN-DESFLEURS R-2011
D’AGOSTINO Laurent (dir.), CHAUVIN-DESFLEURS Évelyne, Château de Regard – Clermont-en-Genevois, RFO de fouille préventives, 3vol. , Hadès, 2011
LAUVERGEON 2004 LAUVERGEON Bernard, « Les grands pressoirs bourguignons pré-industriels : essai de chrono-typologie », In Situ [En ligne], 5 | 2004
POISSON 1992 POISSON Jean-Michel (dir.), Le Château médiéval, forteresse habitée (XIe-XVIe siècle). Actes du colloque de Lyon (avril 1988), Documents d’archéologie Française, n° 32, Paris, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, 1992.
SIROT 2007 SIROT Élisabeth, Noble et forte maison. L’habitat seigneurial dans les campagnes médiévales. Du milieu du XIIe au début du XVIe siècle., Espaces Médiévaux, Collection Piccard, Paris, 2007.
SIROT 2011 SIROT Élisabeth, Allumer le feu : Cheminée et poêle dans la maison noble et au château du XIIe au XVIe siècle, Espaces Médiévaux, Collection Piccard, Paris, 2011.
[1] BOURGEOIS et alii 2014 ; COCULA, COMBET 2014 ; POISSON 1992 ; SIROT 2007 et 2011.
[2] CORBIERE 2011 ; D’AGOSTINO, CHAUVIN-DESFLEURS R-2011.
[3] Idem ; BENOIT, TOURNIER R-2017 à 2020.
[4] Idem.
[5] BENOIT, TOURNIER R-2017 à 2020.
[6] BENOIT, TOURNIER R-2018 et 2019.
[7] Idem ; BECK et alii 1999 ; LAUVERGEON 2004.
[8] BENOIT, TOURNIER R-2020.
[9] BENOIT, TOURNIER R-2018 et 2019.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
loicbenoit (27 mai 2021). Préparer et stocker les denrées alimentaire au sein d’un château : Le château de Clermont (74). (Co)Habiter. Consulté le 18 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/n014
