Salles d’eau et hygiène au Proche-Orient ancien

L’une des caractéristiques de l’habitat privé au Proche-Orient ancien[1], comme sub-contemporain[2], est sa « relative indifférenciation fonctionnelle des espaces »[3]. En effet, une pièce peut témoigner d’une succession d’activités au cours de la journée, telles que la préparation et la consommation de nourriture, le travail artisanal, le sommeil ou encore le bain ou le nettoyage. C’est ainsi que la salle d’eau est un espace rare au sein de l’habitat privé proche-oriental, même dans les maisons les plus cossues. Pour preuve, dans le cadre d’un doctorat mené à l’Université Lumière-Lyon 2 au sein du laboratoire Archéorient (UMR 5133) sous la direction de C. Castel (CNRS, Archéorient, UMR 5133), je n’ai pu identifier que onze salles d’eau datées de l’époque du Bronze Récent (1550-1130 av. n.-è.) dans l’ensemble du répertoire archéologique de la région sud-levantine (aujourd’hui Israël, Territoires Palestiniens et Jordanie) de l’âge du Bronze (3700-1200 av. n.è., Fig. 1)[4]. Ce travail d’identification m’a notamment menée à retracer l’histoire de l’apparition et du développement de ce type d’aménagement au Proche-Orient ancien et à m’interroger sur les pratiques dédiées à la propreté corporelle qui pouvaient y être réalisées.

Figure 1 : Localisation des sites où des salles d’eau ont été identifiées

1.     Les premières apparitions de salles d’eau au Proche-Orient ancien

Dans la région syro-mésopotamienne, certaines résidences royales[5], et d’autres plus modestes[6], se dotent de salles d’eau au moins dès l’époque des Dynasties Archaïques II (ca. 2750-2600). On en retrouve par la suite sporadiquement tout au long de l’âge du Bronze[7] (Fig. 2).

Figure 2 : Palais royal de Mari (Syrie), Pièces 77 et 61 – Début du 2^nd mill. av. n.è.

Muller, Cavigneaux & Margueron 2014, Fig. 4.b

En Égypte, ce n’est qu’à partir du Nouvel Empire (1539-1069 av. n.è.) qu’il est véritablement possible de confirmer l’existence de salles d’eau. Ces dernières se retrouvent en contexte palatial[8] (Fig. 3), mais également dans des résidences aux dimensions plus modestes[9]. Elles continuent d’exister sporadiquement jusqu’à l’adoption durable du bain issu de la tradition grecque à partir de l’époque hellénistique[10] (4^ème-1^er s. av. n.è.)

Figure 3 : Palais G, Tell el-Dabaa (Égypte), Pièce L.6151 – 15^ème siècle av. n.è.

Bietak & Forstner-Müller 2005, Fig. 9, p. 74

Au Levant sud, comme indiqué en introduction, elles font également leur apparition au début du Bronze Récent (1550-1130 av. n.è., Fig. 4), mais disparaissent du registre architectural au tout début de l’âge du Fer pour ne reparaître que sporadiquement à l’époque hellénistique, puis dans les palais de la période hérodienne (1^er s. av. n.è.)[11].

Figure 4 : Pièce OH du Palais II de Tell el-Ajjul – Bronze Récent IB, 1479-1400 av. n.è.

Petrie 1932, Pl. XLIV

2.     Les pratiques hygiéniques au prisme de la documentation textuelle mésopotamienne et biblique 

En ce qui concerne les onze salles d’eau identifiées du Levant sud, à l’exception de leurs dimensions réduites, de leur localisation au sein des bâtiments dans lesquelles elles ont été aménagées, de la nature de ces bâtiments – pour la majorité, des résidences liées une catégorie aisée de la population voire ayant des prérogatives administratives et militaires – ou encore de la faible quantité de matériel mise au jour, celles-ci présentent peu de caractéristiques communes. Il est vrai qu’elles se caractérisent davantage par l’hétérogénéité tant de leurs installations, de leur accessibilité que, possiblement, des activités qui y étaient pratiquées.

À ce sujet, c’est ainsi qu’avec toute la prudence nécessaire liée à ce type de démarche, il nous a paru judicieux de regarder du côté des sources textuelles mésopotamiennes, mais aussi des textes bibliques, postérieurs à l’époque du Bronze Récent.

En ce qui concerne les textes mésopotamiens, il n’existe aucun ouvrage ou article de synthèse sur le sujet. Il s’agira donc principalement de reprendre les quelques informations et conclusions formulées par B. Muller, A. Cavigneaux et J.-C. Magueron dans un article paru en 2014[12], et celles de l’ouvrage Diagnoses in Assyrian and Babylonian Medicine de J. Scurlock et B. R. Andersen[13].

Sans que ces informations ne se rattachent à une chronologie particulière, nous apprenons ainsi que « les textes anciens font fréquemment référence au lavage des mains, des pieds, des cheveux et des vêtements avec de l’eau et du savon alcalin à base de plantes »[14]. Il apparait toutefois que l’aspersion était une pratique fréquente et que l’immersion était une pratique essentiellement réalisée dans des cours d’eau ou dans la mer. Ajoutons qu’il est difficile de certifier que l’immersion dans un bassin prévu à cet effet était réellement pratiquée : « l’archéologie paraît, dans l’état actuel de notre documentation, répondre à cette question par la négative »[15].

De plus, les questions et les pratiques relatives à l’état du corps relevaient de la sphère de l’intime. À cet égard, il est vrai que les dimensions des salles d’eau indiquent que les pratiques liées à la propreté corporelle ne se déroulaient pas en commun, de même que l’on n’annonçait pas ouvertement être porteur.se d’une maladie[16].

En se tournant maintenant vers l’Ancien Testament, dont le récit s’élabore entre le 8^ème et le 2^ème siècle dans la région cisjordanienne[17], nous constatons que des pratiques similaires à celles repérées dans les textes mésopotamiens peuvent être identifiées. De nouveau, le sujet a fait l’objet de peu de publications. Mentionnons toutefois l’article d’E. Neufeld paru en 1971[18], ainsi que le récit de J.R. Ebeling qui tente de retracer, à travers les sources bibliques et archéologiques, le parcours-type d’une femme appartenant à la « classe moyenne » durant la période du Fer IA dans la région des Hautes Terres[19].

On y apprend notamment qu’il était courant d’utiliser des cosmétiques et des mixtures réalisées à l’aide de plantes ou d’huiles et que le sable était également utilisé (e.g. Jer. 2:22 ; Mal. 3:2 ; Job 9:30; II Sam. 12:20). De nombreux passages bibliques font référence au lavage des mains et des pieds comme partie intégrante des coutumes d’hospitalité et de purifications rituelles (e.g. Gen. 18:4 ; 19:2 ; 24:32 ; 43:24 ; Juges 19:21 ; I Sam. 25:41).

En ce qui concerne les pratiques d’immersion, les textes bibliques suggèrent qu’elles n’étaient réalisées que lors d’évènements particuliers, comme lors de rencontres amoureuses. Prenons l’exemple de Ruth, qui est enjointe par sa mère à se laver et à se parfumer avant de rejoindre Boaz pour le persuader de la prendre en mariage (Ruth 3:3).

Les textes font à ce propos référence à deux types d’immersion. Le premier est celui de l’immersion dans des cours d’eau ou dans la mer, à l’image du célèbre épisode où la fille de Pharaon se baigne dans le Nil et sauve Moïse de la dérive (Ex. 2:5). Cette habitude devait également être très largement pratiquée par une grande partie de la population. Le second type est l’immersion, partielle probablement, dans de larges bassines comme attesté dans le second livre de Samuel (11:2) :

« Un soir, David se leva de son lit. Comme il se promenait sur le toit du palais royal, il aperçut de là une femme qui se baignait et qui était très belle. »[20]

Cette femme est la célèbre Bethsabée. Cette seconde pratique est également attestée par une figurine d’argile qui, de manière très suggestive, représente une femme assise dans une bassine et qui réalise sa toilette personnelle. Cette figurine, datée des 8-7^èmes siècle, a été retrouvée dans la nécropole d’Achziv (Israël), située le long de la côte méditerranéenne (Fig. 5).

Figure 5 : Figure en argile d’une femme se baignant dans une baignoire provenant d’une tombe du cimetière d’Er-Ras à Achziv (Israël) – 8-7^èmes siècles av. n. è.

Neufeld, Fig. 1, p. 42

Il semblerait donc que se nettoyer entièrement le corps avec de l’eau était un acte peu courant dans la vie quotidienne des populations sud-levantines, et proche-orientales en générale, durant les âges du Bronze et du Fer (3700-600 av. n.-è.). Ainsi, aménager un espace spécialement dédié à cette activité n’était pas un besoin fondamental pour la population locale, et ce, même pour les classes les plus aisées.

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[1] e.g. Oren 1992, p. 105.

[2] Ragette 2003, p. 80.

[3] Castel & Charpin 1997, p. 248.

[4] Un travail de doctorat débuté en 2018 sur La gestion de l’eau dans les villes syro-levantines de l’âge du Bronze (3700-1200 av.n.è.) : une approche archéologique.

[5] e.g. Pièce E/14-3B et F/16-2 de l’Édifice nord (niveau récent) de Tell Asmar, Iraq, (Krafeld-Daugherty 1994, p. 119 et bibliographie associée).

[6] e.g. Pièce 34 de la Maison XX de Tell Asmar, Iraq, (Krafeld-Daugherty 1994, p. 119).

[7] e.g. Pièce 2 de la Maison Rouge de Mari, Syrie ; Pièces 77-61 (Fig. 2) et 7 du Palais Royal de Mari (Muller, Cavigneaux & Margueron 2014, p. 3).

[8] e.g. Pièce 6151 du Palais G de Tell el-Dabaa, Égypte, (Gräzer 2009, p. 42-43).

[9] Dans la section « arrière » des maisons retrouvées sur le site de Tell el-Amarna (Spence 2004).

[10] Fournet & Redon 2009.

[11] Fournet 2012, p. 7-8.

[12] Muller, Cavigneaux & Magueron 2014.

[13] Scurlock & Andersen 2005, p. 16.

[14] Idem.

[15] Muller, Cavigneaux & Magueron 2014, p. 14.

[16] Ibid., p. 13-14.

[17] Rogerson & Lieu éd. 2006, p. 481.

[18] Neufeld 1971.

[19] Ebeling 2010.

[20] Traduction tirée de la Bible Segond 21.

Bibliographie

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• Castel C. et D., Charpin (1997) : « Les maisons mésopotamiennes ; essai de dialogue entre archéologue et épigraphiste », in : Castel, C., al-Maqdissi, M. et F. Villeneuve éd. : Les maisons dans la Syrie antique du Même millénaire aux débuts de l’Islam : Pratiques et représentations de l’espace domestique, Actes du colloque de Damas, 27-30 Juin 1992, 243-253.
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• Fournet, T. (2012) : « The ancient Baths of Southern Syria in their Near Eastern Context. Introduction to the Balnéorient project », in : Kreiner, R. et W. Letzner éd., SANITAS PER AQUAM, Proceedings of the International Frontinus-Symposium on the Technical and Cultural History of Ancient Baths (Aachen, March 18-22, 2009), 327-336.
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• Krafeld-Daugherty, M. (1994) : Wohnen im Alten Orient: eine Untersuchung zur Verwendung von Räumen in altorientalischen Wohnhäusern,Munster.
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